La société basque traditionnelle

Je viens de passer une semaine en pays basque. J’en ai profité pour m’intéresser à la culture et aux origines du peuple basque que l’on présente souvent, à tort ou à raison, comme une particularité dans notre paysage européen.

L’élément unitaire de la société traditionnelle basque n’est pas l’individu mais la maison, « l’etxe » comme on dit là-bas – et qu’il faut prononcer « etché ». Quand on parle d’etxe, on ne pense pas seulement au bâtiment mais aussi à la famille qui l’habite depuis des générations. La maison se transmet d’une génération à l’autre selon le droit d’aînesse. Cependant, l’aîné, fils ou fille, ne devient pas propriétaire du bien au sens où nous l’entendons. Il en est seulement le responsable. La maison est détenue dans une sorte d’indivision par les personnes qui y résident. En général, trois générations cohabitent dans la maison : les grands-parents, le fils (ou la fille) aîné et son conjoint et leurs enfants.

Cette transmission de la ferme familiale d’une génération à l’autre est assez classique dans toutes les régions d’Europe. La particularité du peuple basque se trouvait dans son droit coutumier qui donnait une assise juridique à cette pratique et reconnaissait l’etxe en tant qu’entité de base de la société. Ainsi, dans les conseils communaux, il y avait une voix par maison et non une voix par personne. Le maître de maison avait en charge l’etxe, c’est-à-dire le bâtiment et les terres, mais n’avait pas le droit de vendre ce patrimoine. Il avait également des devoirs envers ses cadets : il devait héberger les célibataires ou ceux dans le besoin.

Le droit basque mettait en avant la communauté plutôt que l’individu et s’opposait donc au droit romain. L’Ancien Régime tolérait cette particularité. La révolution a voulu imposer sa vision de la société : aucun corps intermédiaire ne doit subsister entre les individus et l’Etat. Pourtant, les Basques ont fait perdurer jusqu’au XXème siècle leurs habitudes. L’astuce des notaires et le consentement des héritiers permettaient de trouver des arrangements lors des successions. Mais la modernité a fini par s’imposer et le mode de vie actuel des Basques ne présente plus vraiment de spécificité.

L’expérience basque est intéressante car elle nous rappelle que d’autres formes de société sont possibles. La société basque mettait l’accent sur la préservation de l’héritage et sa pérennité à travers les siècles. C’est le propre des sociétés traditionnelles. A côté, la société moderne semble en déséquilibre, nécessitant une croissance perpétuelle qui s’avère évidemment impossible, ce qui nous conduit vers une catastrophe humaine et écologique. Dans la société basque, les générations n’étaient pas contraintes de réinventer leur place à chaque fois, de s’endetter sur des années pour acheter un appartement. Il n’y avait pas de spéculation, de promoteurs immobiliers. Dans la société basque, les mêmes familles se perpétuaient sur les mêmes terres. Dans ces conditions, on ne risquait pas de voir s’installer des étrangers venus de toute la planète : il n’y avait tout simplement pas de place pour eux.

Le livre que j’ai acheté dans une libraire de Bayonne :

Dictionnaire de culture et civilisation basques - Editions ELKAR
Dictionnaire de culture et civilisation basques – Editions ELKAR

Un exemple de maison basque :

Maison basque - Source wikipedia - http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Saint_Etienne_de_Ba%C3%AFgorry_Maison.jpg
Maison basque – Source wikipedia – http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Saint_Etienne_de_Ba%C3%AFgorry_Maison.jpg

La plaisanterie de Milan Kundera

Ces temps-ci, j’ai repensé à un livre que j’avais lu il y a une vingtaine d’années – vous comprendrez pourquoi. Il s’agit d’un roman de Milan Kundera : La plaisanterie. Je rappelle que cet auteur est né et a vécu en Tchécoslovaquie jusqu’en 1975, année où il est venu s’installer dans notre pays avant d’acquérir la nationalité française en 1981.

La plaisanterie est un roman écrit à la première personne mais le pronom « je » ne désigne pas un unique narrateur : le roman est découpé en plusieurs parties où différents personnages nous présentent leur vision personnelle. Ce procédé permet d’aborder une histoire sous plusieurs angles. L’action se déroule en Tchécoslovaquie à deux époques différentes, la première dans l’immédiat après-guerre à la fin des années 40, et la deuxième une quinzaine d’années plus tard, soit au début des années 60. Le personnage principal s’appelle Ludvik. Après la guerre, il est membre du Parti communiste, fait ses études à l’Université et occupe un poste important à l’Union des étudiants. Tout va bien pour lui dans la Tchécoslovaquie socialiste. Mais un jour, son esprit facétieux le conduit à titiller une amie un peu trop orthodoxe qui ne jure que par l’optimisme de la Révolution. Il lui envoie une carte postale où il déclare que l’optimisme est l’opium du peuple avant de conclure par « Vive Trotski ! ». Ce n’est pas politiquement correct, comme on dirait maintenant. Quelques semaines plus tard, il est convoqué pour s’expliquer devant un conseil de discipline. Il tente bien de se justifier : il ne s’agit que d’une boutade sans importance. Mais on ne plaisante pas avec la Révolution, sauf si l’on est cynique et individualiste, c’est-à-dire un ennemi de la société. Son « procès » fait largement appel au pathos : on lit le texte d’un résistant mort en déportation afin de mieux l’humilier. Comment peut-on rire après la barbarie nazie ? Et c’est ainsi qu’il est exclu du Parti, de l’Université et qu’il part faire son service militaire dans un bataillon disciplinaire. Son destin change à cause d’une plaisanterie.

Ce roman n’est pas une démonstration politique. Il n’y a pas de manichéisme. Les personnages n’ont ni raison, ni tort. C’est pour cela que c’est un bon roman. Les comportements s’expliquent par des considérations psychologiques plutôt qu’idéologiques. C’est une histoire qui pourrait très bien se dérouler dans un autre pays, à une autre époque. Chaque régime porte en lui les germes du totalitarisme.

C’est également l’histoire d’une vengeance qui passe à côté de son but car il ne sert à rien d’attendre : les gens changent, les choses évoluent, les inquisiteurs deviennent des libéraux. C’est dans l’instant qu’il faut réagir, au moment où l’on subit l’injustice. J’aurais mieux fait de le gifler, finit par penser Ludvik de son accusateur.

Les destins s’entrecroisent, les individus vivent dans leur bulle et interprètent les choses en fonction de leur univers : le monde lui-même est une plaisanterie.

La plaisanterie de Milan Kundera
La plaisanterie de Milan Kundera

Ma statue par Mme Peltzer-Genoyer

Olivier par Mme Peltzer-Genoyer

A l’âge d’un an, j’ai passé l’été chez mes grands-parents à Thonon-les-Bains. Ils étaient amis avec Marguerite Peltzer, sculpteur reconnu, que j’ai toujours entendu appelée de son nom de femme mariée, Madame Genoyer. Elle me choisit pour modèle et réalisa une superbe statue en bronze sobrement intitulée « Olivier ». La photo ci-dessus montre l’ébauche en terre. Quelques années plus tard, encore enfant, j’ai revu cette statue dans une exposition à Thonon : elle avait reçu un prix. Je ne sais malheureusement pas ce qu’elle est devenue. Cependant, une copie en marbre blanc existe au musée du Chablais. (J’ignore si elle est exposée actuellement.)